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                1°) L’état actuel de la jurisprudence et les divergences relatives à l’action de  vie préjudiciable.

                                Le contentieux, relativement abondant, s’articule autour d’un principe de portée générale, clairement exprimé et d’une exception dont la formulation est ambiguë.

                a) Le principe et l’exception.

                                Dès 1982, le Conseil d’État a posé en principe qu’une naissance n’est pas en elle-même génératrice d’un dommage susceptible d’ouvrir à la mère un droit à réparation [5]. La requérante, célibataire aux revenus modestes, se plaignait de l’échec d’une interruption volontaire de grossesse mais l’enfant était né en bonne santé.

                                Cette solution qui a fait l’objet d’une large approbation doctrinale paraît davantage fondée sur des considérations de morale sociale que sur la stricte application des règles de la responsabilité pécuniaire qui aurait pu conduire à l’indemnisation des inconvénients résultant de l’interruption de grossesse ayant  manqué son but [6].

                                La Cour de cassation a, dans une affaire analogue, adopté la même position par un arrêt du 25 juin 1995 en constatant  “l’absence de dommage particulier qui ajouté aux charges normales de la maternité aurait été de nature à permettre à la mère de réclamer une indemnité[7].

                                Dans son arrêt précité de 1982 et probablement pour résoudre les cas les plus douloureux, le Conseil d’Etat avait ouvert la voie à des dérogations en réservant l’hypothèse où  le demandeur d’indemnité invoque “des circonstances ou une situation particulière” qui n’ont pas été définies mais incluant, d’après les conclusions du commissaire du gouvernement et les commentaires de la doctrine, la naissance d’un enfant handicapé.

                                Cela ne signifie pas pour autant que les règles de la responsabilité civile puissent être méconnues, spécialement l’exigence d’une relation de causalité[8] entre la faute et le dommage ainsi que la détermination du droit lésé, tout préjudice n’étant pas réparable. L’action de l’enfant et celle des parents n’auront donc pas nécessairement le même sort.

 

b)                                                                   La jurisprudence judiciaire.

                                Les juridictions du fond ont accepté soit par le détour de la “perte de chance” de recourir à l’avortement, soit par l’intermédiaire du préjudice  réfléchi du fait de la vue quotidienne du handicap de l’enfant, d’indemniser les parents en raison d’une déception légitime suscitée par une prestation médicale ne leur ayant pas permis de prendre une décision en connaissance de cause mais elles se sont, pour la plupart, refusées à accueillir l’action de l’enfant soit pour des motifs tirés de l’éthique, soit pour le défaut de causalité entre l’infirmité de l’enfant et la faute du médecin[9].

                                Cependant, par un arrêt du 16 juillet 1991, la Cour de cassation a reconnu au profit d’un enfant atteint de graves malformations que la faute du médecin qui n’avait pas prescrit lors de l’examen prénuptial la sérologie de la rubéole pourtant obligatoire, lui avait fait perdre “la chance d’éviter de supporter les conséquences de la rubéole contractée par sa mère en début de grossesse[10]. Pareille motivation revient, nous semble-t-il, à présumer le lien de causalité.

                                Le même arrêt a également retenu à la charge des deux  médecins qui avaient assuré le suivi de la grossesse qu’en s’abstenant, malgré les symptômes de rubéole, de prescrire les analyses utiles, ils n’avaient pas rempli l’obligation de renseignement dont ils étaient tenus à l’égard de leur patiente et qui aurait permis à celle-ci d’envisager une IVG. De tels motifs caractérisent des fautes de nature à engager la responsabilité des praticiens vis-à-vis de la mère ou des parents mais nullement de l’enfant.

                                Deux autres décisions significatives ont été rendues le 26 mars 1996 par la Cour de cassation légitimant de manière encore plus nette les demandes indemnitaires des parents mais aussi celles présentées pour le compte de l’enfant[11]. La première espèce présente une particularité factuelle tenant à une erreur de diagnostic anteconceptionnel qui a été regardée comme étant en relation directe avec la décision du couple de concevoir un enfant né, cinq ans après la consultation d’un généticien, porteur de la maladie hérédo-dégénérative dont souffrait son père.

                                La seconde espèce est celle qui fait l’objet du présent pourvoi.

b)                                                                   La jurisprudence administrative.

                                Elle est illustrée par un arrêt du 14 février 1997 du Conseil d’État qui s’est prononcé, à son tour, sur les deux actions en responsabilité engagées par les parents d’un enfant né trisomique après que la mère eut subi dans un hôpital public, un examen prénatal par amniocentèse dont le but était de décider d’une éventuelle interruption volontaire de grossesse et qui lui avait présenté, à tort, comme ne révélant aucune anomalie [12].


 

                                Confirmant en partie l’arrêt de la cour administrative d’appel, le Conseil d’État a accepté de réparer, outre le préjudice moral du couple, son préjudice matériel en lui allouant notamment une rente mensuelle pendant la durée de vie de l’enfant au titre des charges particulières résultant de l’infirmité de celui-ci.

                                Il y a donc convergence entre les deux juridictions suprêmes quant à l’action des parents bien que la Cour de cassation n’ait pas pris parti sur l’étendue du préjudice réparable.

                                En revanche, le Conseil d’État s’est nettement séparé de la Cour de cassation sur la question du préjudice propre à l’enfant en annulant l’arrêt déféré motif pris de l’erreur commise dans l’appréciation du caractère direct du lien de causalité.

                                Abondamment commentées, les décisions rendues le 26 mars 1996 par la première chambre civile ont suscité un vif débat doctrinal, la très grande majorité des auteurs, qu’ils soient civilistes ou publicistes, se déclarant hostiles au principe même de l’indemnisation de l’enfant dans les circonstances sus-relatées [13].

                                Le débat témoigne de la difficulté de la question et de l’importance des enjeux qui sont des enjeux de société.

                                La résistance manifestée par la cour d’appel d’Orléans - qui va dans le sens de la jurisprudence dominante des juges du fond [14] - impose une nouvelle réflexion sur l’action en wrongful life.

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