|
II. 1 Sur la question du préjudice de l'enfant dont le handicap est d'origine endogène 15. Pour estimer ce préjudice non établi la cour d'appel d'Orléans, après avoir constaté, comme celle de Paris, que Mme P... avait "clairement manifesté la volonté, en cas d'atteinte rubéolique , de procéder à une interruption volontaire de grossesse" et que les fautes commises ne lui avaient pas permis d'y recourir, a énoncé que : - ... dés lors que le dommage peut avoir une autre cause que la faute constatée, cette faute ne peut être censée constituer la condition sine qua non de la perte de chance ( il s'agit de la perte de chance d'éviter les conséquences de la rubéole contractée par la mère en début de grossesse, mais on notera que la Cour de cassation dans on arrêt du 26 mars 1996 ne s'était pas fondée sur le concept de perte de chance pour prononcer une cassation) ; - il est constant que les praticiens sont étrangers à la transmission à la mère de la rubéole; ils ne sont intervenus qu' après le début de la grossesse, de sorte que ne pouvait plus être évitée la conception de l'enfant ; - une thérapeutique quelconque pratiquée en début de grossesse n'aurait pu supprimer, voire limiter les effets de la rubéole sur le foetus ; - Nicolas , qui n'avait aucune chance de venir au monde normal ou avec un handicap moindre , ne pouvait que naître avec les conséquences douloureuses imputables à la rubéole à laquelle la faute des praticiens est étrangère , ou disparaître à la suite d'une interruption volontaire de grossesse dont la décision n'appartient qu'à ses parents et qui ne constitue pas pour lui un droit dont il puisse se prévaloir ; - que la seule conséquence en lien avec la faute des praticiens est la naissance de l'enfant ; - que si un être humain est titulaire de droits dés sa conception , il n'en possède pas pour autant celui de naître ou de ne pas naître, de vivre ou de ne pas vivre ; qu'ainsi sa naissance ou la suppression de sa vie, ne peut pas être considérée comme une chance ou comme une malchance dont il peut tirer des conséquences juridiques ; - que dés lors , Nicolas P... représenté par son père, ne peut pas invoquer à l'encontre des praticiens , comme source de dommage, le fait d'être né parce que, à raison de leurs fautes conjuguées, ils n'ont pas donné à ses parents les éléments d'appréciations suffisants pour leur permettre d'interrompre le processus vital qui devait aboutir à la naissance . 16.A l'encontre de cette motivation la première branche du deuxième moyen du pourvoi principal objecte "qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que la mère de l'enfant avait clairement exprimé sa volonté, en cas d'atteinte rubéolique, de procéder à une interruption volontaire de grossesse et que les fautes conjuguées des praticiens ne lui ont pas permis de recourir à cette solution ; qu'il s'ensuit que ces fautes étaient génératrices du dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de sa mère; qu'en écartant le lien de causalité entre les fautes constatées et le dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de la mère , l'arrêt attaqué a violé l'article 1147 du code civil " Et le deuxième moyen du pourvoi incident de la CPAM de l'Yonne s'exprime ainsi : "Il résulte des propres énonciations des juges du fond que Madame P... avait manifesté la volonté de provoquer une interruption de grossesse en cas de rubéole; que les fautes conjuguées des praticiens ont induit la fausse certitude que Mme P... était immunisée contre la rubéole et qu'elle pouvait poursuivre sa grossesse sans aucun risque pour l'enfant; qu'en conséquences ses fautes étaient génératrices du dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de la mère; qu'en niant tout lien de causalité entre les fautes constatées et le dommage subi par l'enfant , l'arrêt a violé l'article 1147 du code civil". On voit donc que, sous quelques variantes de forme , les deux griefs sont identiques de sorte qu'ils doivent faire l'objet d'une discussion commune. 17 .Cette discussion est d'une rare difficulté car, au delà de la problématique juridique du lien de causalité entre une faute et un dommage et des querelles théoriques, sinon scolastiques, le concernant, se pose la question ontologique de l'être humain et la question éthique de la dignité et du respect de la personne humaine. Le droit ne peut l'ignorer et la Cour de cassation, précurseur en la matière, ne l'ignore pas puisque, bien avant les lois bioéthiques de 1994, elle avait affirmé dans l'arrêt Teyssier (Req . 28 janvier 1942 , D.1942, recueil critique, jurisprudence, p 63 ), la valeur fondamentale du " respect de la personne humaine", fondement du devoir d'information du médecin . 18. C'est en effet, comme on le verra, essentiellement sur le principe du respect de la personne humaine que se focalisent les controverses sur le droit pour l'enfant de demander la réparation d'un handicap dont l'origine remonte à la vie intra- utérine et qui, pour être évité, suppose le recours à une interruption volontaire de grossesse. L'alternative est alors redoutable dans sa sécheresse : ne pas vivre, ou vivre avec un handicap majeur . Mais reconnaître un préjudice propre à l'enfant, n'est-ce pas implicitement admettre que la vie d'un handicapé ne vaut pas la vie "normale " puisqu'il faut l'indemniser et admettre aussi que la non vie est préférable à la vie handicapée ? On verra par la suite que cette inquiétude a été exprimée sous des formes diverses tant en France qu'à l'étranger . 19. Mais une réflexion en profondeur doit partir du début. Or ce début se trouve manifestement, car tout en procède , dans la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse (II.1.1) ; puis nous aborderons la question de la responsabilité et du préjudice en matière d'I.V.G. (II.1.2 ), en insistant sur la problématique du lien de causalité (II.1.3), et, enfin, nous traiterons du principe du respect de la personne humaine au regard de la réparation du préjudice de l'enfant . (II.1.4) . Il va de soi que l'ensemble de l'étude sera en permanence éclairée non seulement par les décisions judiciaires, mais également par celles du juge constitutionnel et administratif, car en cette matière on ne saurait avoir un esprit de chapelle. Les hasards de l'histoire qui ont conduit aux répartitions de compétences que l'on connaît ne doivent pas empêcher les juges de tous les ordres de s'efforcer d'unifier leurs approches dans l'intérêt supérieur des personnes. Enfin, on évoquera aussi la façon dont des juridictions de pays étrangers ont abordé cette difficulté. |
|